Après l’affaire Piastri, quel avenir pour les filières jeunes pilotes ?
Cela aura constitué le feuilleton de l’été des passionnés de Formule 1, et fera certainement le bonheur des scénaristes de Netflix au moment d’écrire la saison 5 de Drive to Survive. Consécutivement au départ tonitruant de Fernando Alonso d’Alpine pour Aston Martin. Le champion 2021 de Formule 2 Oscar Piastri s’est retrouvé au cœur d’un imbroglio contractuel entre Alpine, écurie qui l’a formé depuis 2020, et McLaren, désireuse de remplacer Daniel Ricciardo pour 2023. Cette affaire devrait laisser des traces dans la façon dont les écuries de Formule 1 investissent dans le développement des jeunes pilotes.
Disons-le d’emblée : la Formule 1 ne sort pas grandie de cet épisode et les réputations des acteurs impliqués dans cet imbroglio pourraient s’en trouver affectées dans les années à venir. Résumé des faits : le 1er août 2022, Aston Martin Racing annonce en grande pompe l’arrivé de Fernando Alonso à partir de la saison 2023. L’espagnol, lassé d’attendre le renouvellement de son contrat de la part de l’écurie Française, et au lendemain d’un Grand Prix de Hongrie qui l’a vu batailler de manière particulièrement virile avec son coéquipier Esteban Ocon, a signé « pour plusieurs saisons » avec la structure de Silverstone. Acculée, Alpine annonce le lendemain qu’Oscar Piastri, pour lequel une saison chez Williams était envisagé, pilotera au côté d’Esteban Ocon en 2023. Dès son réveil, aux antipodes, l’Australien dément l’information dans un tweet cinglant. Alpine est ridiculisée. La rumeur d’un contrat liant Piastri à McLaren prend de l’ampleur. La structure d’Enstone assure être dans son bon droit, mais sa communication semble fébrile, entre Otmar Szafnauer (Team Principal) enchainant les déclarations lunaires et Laurent Rossi (CEO), d’habitude très loquace, qui se mure dans le silence. Un mois plus tard, le conseil de reconnaissance des contrats de la FIA reconnait la validité du contrat liant Piastri à McLaren pour la saison 2023. L’Australien est officialisé par la structure britannique dans la foulée. Tâtonnant, une nouvelle fois, quelques semaines, Alpine jettera finalement son dévolu sur Pierre Gasly, libéré de son contrat Alpha Tauri par Helmut Marko pour l’occasion.
Fustigeant depuis le caractère déloyal de l’Australien, fer de lance de son programme pour jeune pilote ces 3 dernières saisons, Alpine met en avant le budget mis en œuvre pour financer successivement les programmes en Formule 3, Formule 2, puis un programme de test en Formule 1 cette saison. Budget estimé à plusieurs millions par Alpine, surévalué selon Mark Webber, le manager de Piastri. Il n’empêche qu’à l’heure où les équipes doivent optimiser leurs budgets, celles-ci pourraient réfléchir à plusieurs fois avant d’investir du temps et de l’argent dans des bataillons entiers de jeunes pilotes (11 pilotes membres du Red Bull junior team engagés en formules de promotion au moment d’écrire ces lignes !).
Apparues à la fin des années 1990, sous l’impulsion de Red Bull, pas encore propriétaire de 2 équipes de Formule 1 mais sponsor de Sauber et de Arrows, et de McLaren-Mercedes, qui alignait même une équipe de Formule 3000 sous le nom de son sponsor cigarettier du moment, les filières pour jeunes pilotes se sont développées dans les années 2000. Au moment où le budget nécessaire pour faire du sport automobile, ou du karting de niveau international explosait. Lewis Hamilton et Sebastian Vettel, particulièrement, n’auraient sûrement pas eu les mêmes opportunités sans le soutien de McLaren, grâce à Ron Dennis, et de Red Bull, grâce à Helmut Marko. Parmi les autres pilotes ayant bénéficiés du soutien décisif d’écuries de Formule 1 pour accéder au pinacle du sport automobile, citons également Pierre Gasly, Esteban Ocon, Jules Bianchi, Charles Leclerc ou même George Russell. Les cas de Nico Rosberg, Max Verstappen ou Carlos Sainz sont un peu différents, ceux-ci bénéficiant de solides soutiens financiers ou de relations dans le paddock antérieurement à leur intégration aux filières jeunes pilotes.
Mais aujourd’hui, les filières jeunes pilotes semblent s’approcher de plus en plus chaque saison de l’impasse. Red Bull, qui possède 2 écuries de Formule 1 compte actuellement 6 pilotes susceptibles d’accéder à la catégorie reine à l’horizon 2024. 1 ou 2 places, si ce n’est aucune, pourraient se libérer à ce moment-là seulement. De même, Alpine, après avoir perdu Piastri pourrait de nouveau avoir bien du mal à proposer des options concrètes à Doohan ou Martins si ceux-ci confirment leurs promesses. Ferrari, qui a promu successivement Leclerc, Giovinazzi et Schumacher, mais a « gâché » Ilott et Schartzman, devrait se retrouver sous 2 ans dans une situation similaire avec beaucoup de jeunes prometteurs actuellement en Formule 3 et en Formule 4, dont Ollie Bearman, l’une des révélations de la saison 2022 de FIA Formule 3 et Dino Beganovic, titré champion de FRECA (Formula Regional European Championship by Alpine) ce week-end. Moins agressives sur la quantité de pilotes soutenus, Mercedes et McLaren comptent sur les très jeunes Andrea Kimi Antonelli (Mercedes, Italien, 16 ans, récent champion de Formule 4 allemande et bien parti pour faire le doublé avec la Formule 4 italienne) et Ugo Ugochukwu (Mclaren, Britannique, Karting & Formule 4) qui ont encore quelques années pour se développer. Reste les cas Aston Martin (Drugovich depuis peu), Williams (Sargeant), Alfa Roméo (Pourchaire) et Haas (Fittipaldi), dont l’actualité prouve qu’il est bien difficile de trouver des options concrètes.
Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte pour expliquer cette situation. Premièrement, les grilles de départ se sont considérablement rabougries depuis le milieu des années 1990. En 1994, 14 écuries étaient engagées, 5 rookies débutaient au premier Grand Prix de la saison, suivis par 9 autres pigistes en cours de saison. 46 pilotes au total prendront le départ d’un Grand Prix cette saison-là. A l’exception de la tentative, échouée, d’introduire de nouvelles équipes en 2010, peu d’actions ont été entreprises pour garnir la grille de quelques équipes supplémentaires. Le blocus entrepris par certains tops teams pour empêcher l’accession à la Formule 1 d’Andretti Autosport, écurie légendaire aux Etats-Unis, démontre bien le double-discours d’écuries qui se lamentent de ne pas pouvoir offrir de chance à leurs rookies mais qui sont, plus encore, réticentes à partager les juteux revenus audiovisuels avec de nouveau arrivants. Autre explication, la réduction drastique des essais privés qui limite le temps de roulage des jeunes pilotes. En 2006, en parallèle de sa saison victorieuse en GP2 series, Lewis Hamilton menait une ambitieuse campagne de préparation à la Formule 1 avec l’équipe de test McLaren. Cette situation n’est plus possible, sauf à mobiliser une monoplace datées de plusieurs saisons et une équipe de test et à arpenter les circuits pour préparer les jeunes pilotes. Cas mis en pratique par Stroll ou Mazepin ces dernières années, mais que tous les rookies ne peuvent évidemment pas se permettre. De ce fait il est compréhensible que les écuries soient réticentes à prendre le risque de perdre une demi-saison à former un débutant alors que le retour sur investissement, en termes de compétitivité, est plus garanti par un pilote plus expérimenté. Les séances d’essais libres réservées aux jeunes pilotes montrent que la FIA et la FOM ont saisi ce problème mais la solution proposée est-elle suffisante ? Enfin, la dernière explication se trouve dans la longévité des carrières, permise par la professionnalisation extrême des pilotes et le développement de la préparation physique. Difficile de garantir le turn-over quand les pilotes demeurent pleinement compétitifs, à l’image de Fernando Alonso, passés la quarantaine.
Pour demeurer le summum du sport automobile, la Formule 1 ne peut pas se permettre de manquer les meilleurs jeunes pilotes qui, par dépit, pourraient chercher un nouvel eldorado en IndyCar, en Formule E ou en WEC. Voilà un chantier qui devrait-être prioritaire pour les instances dirigeantes de la Formule 1.
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