L’énigme Tsunoda
Récemment renouvelé pour une 3ème saison au sein de la Scuderia Alpha Tauri, le jeune japonais tarde à confirmer les espoirs placés en lui. Si son potentiel est bien réel, il devra montrer un autre visage, sur et en-dehors de la piste, s’il veut s’installer durablement sur la grille.
Bahreïn, 28 mars 2021, Lewis Hamilton remporte le premier Grand Prix de la saison à l’issue de la première manche du duel historique qu’il va mener, 22 courses durant, contre Max Verstappen. Un peu plus d’une minute vingt-cinq après, un jeune japonais devient le premier rookie à inscrire des points pour son premier Grand Prix depuis Stoffel Vandoorne 5 ans plus tôt. Ces premiers points couronnent un premier week-end extrêmement consistant durant lequel Yuki Tsunoda a d’emblée pris la mesure de son expérimenté coéquipier Pierre Gasly. Inconnu du grand public quelques mois plus tôt, le bouillant japonais est néanmoins observé de près par le paddock depuis son arrivée en Europe, seulement 2 ans plus tôt.
Auteur d’un respectable parcours en karting au pays du soleil levant, sans néanmoins briller sur la scène internationale, Yuki Tsunoda débute une première saison complète de Formule 4 japonaise en 2017, avec, déjà le soutien de Honda. Remportant d’emblée le titre en « East series », sorte de championnat régional, il conclut le championnat national à la 3ème place, entouré de pilotes beaucoup plus expérimentés, signant 3 victoires dont une à Suzuka. Redoublant en 2018 avec pour objectif le titre, le jeune pilote ne laisse aucune chance à ses adversaires, remportant 7 victoires dont 2 impressionnants doublés au Mont-Fuji et à Suzuka.
Pensant tenir un potentiel premier vainqueur japonais de Grand Prix, Honda introduit Tsunoda auprès d’Helmut Marko, le responsable des pilotes Red Bull, qui l’intègre au Red Bull junior team pour la saison 2019. Pour ses premiers pas sur la scène Européenne, Yuki Tsunoda réalise un ambitieux double programme en FIA Formule 3 et en Euroformula Open. Dans la première série, la plus prestigieuse, il est intégré à l’équipe suisse Jenzer, l’une des plus faibles du plateau, ce qui ne l’empêche pas de terminer 9ème du championnat avec une victoire en course sprint à Monza. Preuve de la faiblesse du matériel mis à sa disposition, le japonais marque à lui seul l’intégralité des points de son équipe. Il termine également 4ème du championnat Euroformula Open avec 1 victoire et 5 podiums, en ayant manqué 2 meetings sur les 9 pour cause de clash avec le calendrier de Formule 3.
Satisfait par cette première saison européenne encourageante, l’intransigeant Dr Marko lui ouvre les portes du très compétitif Team Carlin en Formule 2 pour 2020. Aligné au côté de l’indien Jehan Daruvala, également membre du Red Bull junior team, le japonais ne va laisser aucune chance à son coéquipier, monter en puissance au fil de la saison jusqu’à s’immiscer dans la lutte pour le titre. Privé d’une victoire qui lui tendait les bras sous le déluge en Autriche à cause d’un problème de radio, Tsunoda va se venger rapidement jusqu’à remporter 3 victoires dont la course principale à Silverstone. Il décrochera la 3ème place du championnat et le titre de meilleur rookie au nez et à la barbe de Robert Schwartzman, jeune pilote couvé par Ferrari et considéré par de nombreux observateur comme l’un des favoris pour le titre en début de saison.
Cependant, une analyse plus poussée de sa saison laisse déjà présager à certaines difficultés qui continuent à lui faire défaut en Formule 1. Bien que flamboyant, Tsunoda est parfois rattrapé par des week-ends « sans ». Dès la première course de la saison, il s’accroche bêtement avec son coéquipier dans le 2ème virage du 1er tour… A 3 reprises, il ne marque aucun point du week-end sur les 12 meetings du championnat. Son résultat final, flatteur, doit plus à l’irrégularité de ses concurrents qu’à un championnat construit intelligemment.
Poussé néanmoins en Formule 1 chez Alpha Tauri, par la volonté commune de Honda et d’Helmut Marko, qui apprécie plus que tout cette catégorie de pilotes dotés d’une pointe de vitesse hors du commun, le japonais va rapidement confirmer cette analyse. Il est parfois capable du meilleur, comme son week-end Bahreïni décrit plus haut, sa 6ème place en Hongrie ou le Grand Prix d’Abu Dhabi, ou il prend la 4ème place, juste devant son coéquipier Pierre Gasly. Malheureusement, l’essentiel de sa saison sera beaucoup plus brouillon, notamment en qualification ou il accumule de nombreux crashs, à Imola, à Bakou ou au Castellet. Il finit souvent les courses à bonne distance de son expérimenté coéquipier. En-dehors de la piste, son comportement, visible sur la série Netflix « Drive to Survive » semble bien loin des standards du sport de très haut-niveau. Très immature, le benjamin du plateau F1 donne l’impression de tout prendre à la légère, néglige sa préparation physique et alimente des polémiques comme à Barcelone ou il accuse son équipe de ne pas lui fournir le même matériel qu’à Gasly, avant de s’excuser. Colérique, Tsunoda est également coutumier des coups de sang à la radio. Il conclut sa saison de rookie à la 14ème position en ayant marqué 32 points, à bonne distance des 110 de son coéquipier.
Soutenu par Helmut Marko, et par Franz Tost, le patron de la Scuderia Alpha Tauri. Tsunoda est renouvelé pour la saison 2022. Au moment d’écrire ces lignes (le 25/09/2022 NDLR), le sentiment d’irrégularité continue d’accompagner la trajectoire de Tsunoda. S’il semble plus proche de Pierre Gasly (A l’issue du Grand Prix d’Italie, le français possède 22 points contre 11 au japonais et mène 10 à 6 en qualification et 7 à 2 en course), le jeune japonais semble encore peiner à se hisser au niveau qui pourrait-être le sien, il est vrai peu aidé par une Alpha Tauri AT03 ratée. Il demeure également capable de bourdes inacceptables comme à Silverstone ou il a ruiné la course de son équipe en percutant Gasly, non sans l’incriminer, à tort, à la radio.
S’il conserve la confiance d’Helmut Marko pour la saison 2023, celle-ci devrait-être celle de la dernière chance. Si aucune officialisation n’a eu lieu au moment d’écrire ces lignes, Nyck de Vries pourrait-être le coéquipier du japonais l’an prochain. Difficile d’imaginer 2 profils plus opposés. Le néerlandais a connu un parcours sinueux en formules de promotion (3 ans pour décrocher le titre en Eurocup Formule Renault, 3 ans pour décrocher le titre en Formule 2, passage par la Formule E) mais peut opposer une éthique de travail et une maturité à toute épreuve. S’il est effectivement associé à de Vries, Tsunoda ne devra pas se contenter de faire jeu égal avec lui s’il veut s’installer durablement au sein du paddock des Grands Prix.
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